Pourquoi j'ai peur de traverser
Reprise de semestre + concours à préparer = pas beaucoup de temps pour écrire. Mais voici un petit billet pour me faire pardonner, à vous mettre sous la dent.
Il y a encore un geste, une attitude spécifique, dont je n'ai pas parlé lors de mes billets de comparaison entre Paris et Casablanca. Et pourtant, c'était pratiquement le plus évident. Je ne sais pas pourquoi cela ne m'était jamais venu à l'esprit. Je veux parler de la circulation. En effet, dans ces deux villes, cette dernière est particulièrement connue pour sa dangerosité. Chacune de ces deux mégapoles est typique d'un style de conduite à la dimension anarchique. Je ne ferai pas ici un puéril concours de dangerosité : il serait absurde de se complaire d'une pratique stupide et meurtrière. Et puis de toute façon, c'est Casa qui gagne.
La figure du piéton est intéressante à analyser. J'ai été piéton pendant 17 ans à Casa. Toute ma vie, jusqu'à ce que j'arrive à Paris, j'avais vécu et traversé des routes selon les mêmes us et coutumes. J'ai dû tout réapprendre à Paris, et avec difficulté. En effet, à Casa, le rapport du piéton à la voiture est très particulier. Lorsqu'on traverse, on sait que la voiture va arriver à grande vitesse et l'on tente de prévoir la trajectoire de cette dernière pour l'éviter. De son côté, le conducteur sait que le piéton fait ce cheminement intellectuel et ne modifie donc pas son chemin, pour permettre une analyse de trajectoire la plus fiable possible par le piéton.
À Paris, c'est différent. Les gens roulent aussi vite, aussi mal qu'à Casa. Sauf qu'ils ne savent pas gérer les piétons. Ici, ceux-ci ne traversent que sur les passages-piétons. À Paris, j'ai peur de traverser hors des passages bien délimités. À Casa, la question ne se pose pas, il n'y en a pas. J'ai donc beaucoup de mal à traverser dans des endroits où rien n'est délimité, ce qui a pourtant été mon habitude pendant des années. J'ai peur de me faire renverser par inadvertance par une voiture qui ne sait pas gérer les piétons sur son chemin.
Ainsi, même au feu et sur les passages-piétons, j'ai tendance à laisser passer les voitures, emporté dans mon élan et mon habitus, pour mieux les éviter. Mais celles-ci me prennent au dépourvu en s'arrêtant devant moi. En traversant sur la route, je me prépare à analyser la trajectoire des voitures, motos, vélos, bus, pour mieux passer derrière. Mais ceux-ci en me voyant se mettent à paniquer à faire de grandes embardées alors que je ne demande qu'à les laisser passer !
Les codes ne sont donc pas les mêmes entre ces deux villes pourtant connues chacune pour leur problèmes de conduite. Mais ces us et coutumes différant, je dois jongler entre eux selon la ville où je me trouve. Or, comme j'ai appris à conduire à Casa, je me vois mal conduire à Paris et ne pas laisser traverser les piétons et les éviter, comme je suis habitué à le faire. Pour obtenir un bon mélange, il faudrait donc mélanger les conducteurs casaouis, rompus à éviter les piétons mais aussi les charrettes, les ânes, les chiens et les mobylettes en contre-sens ; les mélanger avec les piétons parisiens sagement à l'abri sur leurs trottoirs et leurs passage-piétons. Que ceux qui ont déjà expérimenté les deux systèmes me répondent en commentaire.