Des chef-d'oeuvres du rock en français, il y en a peu. Peut-être même qu'un seul : Des Visages Des Figures de Noir Désir.

Une formidable et gigantesque baffe dans la gueule. Sans conteste, Noir Désir est bien le meilleur groupe de rock français. Car le rock, ce n'est pas tant de la rage, des riffs, des hurlements, des mélodies ou des textes, c'est avant tout une émotion. Quelque chose qui fait vibrer en partant des tréfonds pour nous envelopper totalement. Et Des Visages Des Figures en est rempli jusqu'à plus soif de cette instable émotion. Celle qui arrive sans prévenir, qui fait son effet, et qui repart en laissant derrière un paysage pas forcément dévasté mais en tout cas jamais indemne.

Cet album est difficilement explicable, comparable, critiquable. Le mieux à faire reste encore de se pencher sur "Lost", "A l'envers, à l'endroit" et leurs dix frères et sœurs. Noir Désir y livre ici un répertoire personnel, que l'on pourrait ne pas comprendre tant il ne ressemble à rien. Il faut véritablement écouter la musique. Ne faire que ça. Ne pas la passer en arrière fond tandis que l'on fait autre chose. La première écoute pour qu'elle soit pleinement entendue ne doit avoir pour finalité qu'elle-même. Une fois que l'on a compris où veut nous mener le groupe, on peut retourner à sa vie ordinaire. Mais pendant une heure, on aura d'abord été enlevé dans un lieu qu'on ne peut pas localiser.

Si la formation délaisse quelque peu la distorsion des albums précédents, ce n'est pas pour autant que l'intensité fait défaut. On trouvera difficilement plus enragé que "Bouquet de Nerfs" mais c'est une agressivité particulière à laquelle on fait face : poétique, onirique, douce. C'est celle de Bertrand Cantat qui livre une prestation à couper le souffle. Les textes sont merveilleux, le phrasé fantasque et le vocabulaire réfléchi ont le niveau de la grande littérature. Les mots de l'humain s'entremêlent avec ceux de l'instrument pour former une seule langue, celle de la musique. Jamais le français n'a aussi bien jonglé avec la guitare.

Depuis "L'enfant Roi" à "L'Europe", en passant par la mélodie tragicomique de "Le vent nous portera", c'est un voyage auquel nous sommes invités. Un voyage qui cherche à nous perdre, à nous égarer. On en vient à toucher de très près les limbes lorsque Brigitte Fontaine, comme une forcenée, nous éructe au visage lors de la dernière piste. Mais la beauté du projet est telle que l'on est prêt à retenter l'expérience encore et encore.

Des Visages Des Figures

Partager cet article