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4 avril 2011

Go ahead, make my day (Eastwood, 3)

Comme vous l'aurez compris à la lecture du titre, aujourd'hui c'est au tour de "Harry le Charognard" (ça marche moins bien en VF...)


« Dirty Clint » et l'Amérique fasciste ?

Sorti en 1971, L'Inspecteur Harry (Dirty Harry) s'inscrit dans la continuité des rôles de Clint Eastwood. Malgré un cadre contemporain, le mythe du western n'est jamais loin, et les valeurs et codes que transmettent le film restent ceux de la Frontier. En dépassant la violence déjà extrême de la Trilogie du dollar, le personnage de « Harry le Charognard » marque les esprits de manière radicale, allant même jusqu'à faire considérer Eastwood comme un fasciste par la critique.

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Le ton qui se dégage du film est celui d'une Amérique morose et sclérosé où les criminels semblent plus puissants que les hommes de loi. Dans cette tradition du film de genre, héritée des ambiances du film noir, le héros est seul contre tous. Sorte du relecture du rêve américain, il doit se battre pour s'imposer mais cette fois-ci, la société est contre lui. Eastwood incarne donc un personnage au ban de la société, habité par une foi qui lui est propre, qui sait s'écarter des impératifs de la loi quand il le faut.

« Ses qualité [celles de Dirty Harry] ne représentent plus des valeurs morales, mais courage, habileté, ténacité, force sont considérés comme des capacités professionnelles dont usent, pour leur propre profit, des autorité anonymes. Ce héros, qui échappe aux notions morales communes, incarne une autre morale, antérieure à celle-ci, une morale primitive, instinctuelle, inconsciente de sa signification »

Dans le numéro 137 d'avril 1972 de Alain Garsault confirme la proéminence de la violence dans le film, celle-ci « est nécessitée par la lâcheté des autorités et les carences de la loi ». Ainsi, en se substituant à l'État, Dirty Harry agit pour le bien de la communauté face à un système qui semble protéger le criminel au détriment de l'honnête citoyen. On retrouve donc cette volonté de régler les conflits armes à la main, dans la pure lignée du mythe de l'Ouest.

« Le film exploite la nostalgie d'un vieux rêve, l'ordre qui n'est plus garanti aux citoyens par la loi est défendu par des hommes en qui s'incarnent les valeurs chevaleresques, pour montrer comment la société moderne rend ce rêve irréalisable et combien pourtant sa réalisation serait nécessaire. […] [Siegel et ses scénaristes] ont en fait écrit un western : le rêve auquel renvoie le film est celui-là même qui donna naissance au genre littéraire ; la situation de Harry dans San Francisco, le mouvement du scénario, l'allure du personnage renvoient à un western filmé. »

Garsault reconnaît clairement la filiation avec le western. À l'instar de Manco ou Blondin de la Trilogie du dollar, Harry Callahan est l'homme de la situation qui sait faire parler la poudre quand il le faut pour pallier une bureaucratie étatique trop sclérosée. Esthétiquement, le film va même jusqu'à emprunter visuellement au western : « Un long mouvement de grue parcourt le paysage, découvre une autoroute qui grouille de voitures et au-delà, des montagnes vers lesquelles Harry paraît se diriger ». On peut donc considérer L'Inspecteur Harry comme un film vecteur d'américanisation car il véhicule une image et des valeurs qui font la part belle au folklore américain. Ces valeurs sont toutefois poussées à l'extrême, ce qui entraine une partie de la critique en France et aux États-Unis à considérer le film, le personnage et l'acteur comme des représentations d'une nouvelle forme de fascisme.

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Revenant a posteriori sur ce phénomène dans une étude du numéro 287 de janvier 1985 , Michel Cieutat détaille les choix de Clint Eastwood :

« L'Amérique était chevelue : il sera mal rasé ou mal barbu et portera parfois les cheveux longs, mais il sera aussi parfaitement soigné de sa personne. Il protégera la veuve et l'orphelin, mais violera la première femme qui se présente. [...] Le charisme eastwoodien provenait en grande partie de ce flot contradictoire anarchisant, propre à cette époque, qui croulait sous les désaccords les plus équivoques. Il allait clarifier la situation en jouant de manière continue, et bien au-delà des « late 60's », de cette ambiguïté pour devenir la star de l'ambivalence par excellence, et cela en interprétant des personnages qui lieront les aspects les plus négatifs du « vilain Américain » à ceux plus positifs de la tradition américaine. »

Loin d'être fasciste, Eastwood renvoie tout de même l'image d'une société américaine corrompue, dans une période où les affaires se multiplient (démission en 1974 du président Nixon à cause du scandale du Watergate). À l'opposée de l'American Dream, les valeurs que transmettent le cinéma d'Eastwood sont plutôt celle d'un right-wing anarchism, une critique de l'establishment dans une veine populiste, nostalgique d'un ordre disparu. Ces valeurs auxquelles est assimilé l'acteur provoquent un sentiment de rejet en Europe, où le film, bien que reconnu pour ses qualités narratives et esthétiques, déçoit pour son propos.

A travers L'Inspecteur Harry Clint Eastwood renvoie donc une image spécifique de l'Amérique, où la violence est omniprésente. Après s'être fait découvert en Europe, l'acteur s'impose comme le symbole d'une Amérique réaliste et crue. Entre les années 1970 et 1990, il reprendra à de nombreuses reprises le rôle de Harry Callahan, mais interprétera également des personnages éloignés des standards d'Hollywood, mettant plusieurs fois en scène l'Americana.

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