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3 avril 2011

When you shoot, shoot, don’t talk (Eastwood, 2)

La suite du dossier sur Clint Eastwood. Aujourd'hui, la Trilogie du dollar.


Du cow-boy sans nom à Dirty Harry : quelle image de l'Amérique ?
Clint Eastwood est devenu célèbre et a véritablement acquis le statut d'icône dans la culture populaire à travers le succès de deux de ses plus grands rôles : l' « homme sans nom » de la Trilogie du dollar et l'inspecteur « Dirty » Harry Callahan. Ces deux rôles, un cow-boy silencieux et rapide de la gâchette, et un inspecteur obstiné et violent, ont marqué sa carrière, son cinéma, et notamment le public qui a dès lors identifié l'acteur à ces derniers. Avec deux rôles virils où les armes à feu sont prégnantes, c'est directement à l'image de l'Amérique que l'on pense : le mythe du far west irrigue ces deux représentations. Ainsi, à propos d'une première partie de la carrière de Clint Eastwood, on peut s'interroger sur l'image de l'Amérique, les valeurs et messages possiblement transmis par l'acteur à travers ce cinéma.

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Clint Eastwood, la caution américaine en Europe
Le film qui fait connaître Clint Eastwood à travers le monde est un western d'un genre bien particulier. Co-production italo-germanique, tourné en Espagne par un Italien, Pour une poignée de dollars ou à l'origine Per un pugno di dollari, inaugure le genre du western spaghetti. On le comprend, ce projet est loin de ressembler aux westerns américains produit en masse jusqu'aux années 1960. Dans ce film pleinement européen, Clint Eastwood apporte une touche sensiblement américaine, il est la caution de l'Amérique sur un tournage où les langues parlées sont multiples (anglais, espagnol, allemand, italien). Devenu culte avec le temps, Pour une poignée de dollars semble tout d'abord consterner la critique française. Ainsi, Roger Tailleur dans le numéro 76 de Positif de juillet 1966 s'exprime de la sorte :

« Sottise de scénario, amateurisme de mise en scène, pauvretés d'interprétation, où le malheureux Clint Eastwood, ex-westerner de vidéo (Rawhide) n'apporte à la semelle de ses bottes que bien peu de la poussière de sa patrie. » [...] « Vouloir faire hors d'Amérique un western aussi vrai que les vrais est une entreprise d'une vanité absolue et d'un ridicule sûr. »

Malgré la critique, on note qu'Eastwood est dès ses débuts considéré comme celui qui apporte au genre, qualifié avec le temps de « western spaghetti », une sorte de légitimation, bien que celle-ci n'aie que peu d'effet sur la qualité du film selon Tailleur. Toutefois, une première continuité s'inscrit dans la carrière de l'acteur : de cow-boy de série télévisée, il passe à cow-boy de grand écran. Cette attirance pour le genre du western le suivra tout au long de sa carrière où le personnage du gunfighter sera souvent présent, de Harry Callahan au Walt Kowalski de Gran Torino.

Une telle continuité joue évidemment pour le spectateur, qui associe dès lors Eastwood à cette image de l'Amérique où la violence semble être l'unique solution pour résoudre un conflit, d'autant qu'Eastwood enchaine immédiatement après cette première collaboration avec Sergio Leone avec une nouvelle œuvre où la filiation est clairement marquée, et ce, jusque dans le titre.

Concernant Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più), la recette est la même : le tournage a lieu en Espagne, les capitaux sont italiens, et des acteurs américains viennent apporter au film leur « sensibilité » américaine. Ainsi, si l'on retrouve Clint Eastwood, il faut également remarquer la présence de Lee Van Cleef, spécialiste des seconds rôles de méchant dans des westerns des années 1950, tombé dans l'oubli et « redécouvert » par Sergio Leone. Là encore, les traits sont exacerbés et ce qui deviendra l'emblème du western spaghetti est exploité : on y voit une peinture violente de l'histoire américaine où le schéma manichéen des westerns classiques est dépassé au profit d'anti-héros à la psychologie plus complexe : plus humains pour certains, complètement amoraux pour d'autres. La critique s'en rend compte et, après avoir relevé le peu d'intérêt du premier volet, elle reconnaît la nature originale du second :

« La force du jeu des trois protagonistes, le sadisme souvent présent, le caractère morbide de cette aventure font de ce film quelque chose de plus que le récit d'aventure rigolard et bien troussé qu'on pouvait en attendre. »

Ainsi, Paul-Louis Thirard dans le numéro 82 de mars 1967 s'attarde sur la qualité de la ré-interprétation de l'Amérique par Sergio Leone. En présentant des personnages plus proches du pistolero bagarreur et ivrogne que du cow-boy chevaleresque, le réalisateur s'inscrit dans un mouvement que l'on pourrait relier au genre du film noir, où déjà le réalisme cru était prôné. Dans cette œuvre, Eastwood se distingue par son personnage cynique de « beau et dur » (mis en valeur par Goffredo Fofi dans une étude du numéro 76 de juin 1966). Ainsi, Eastwood représente à l'écran une certaine image de l'Amérique, assimilée et mise en scène par un Européen.

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Dans cette vision, le héros se doit de réagir en dégainant son pistolet. Il est mu par son unique intérêt et agit en dépit des contraintes morales. Le paroxysme de cette vision, l'apogée du western spaghetti, est atteint avec le dernier volet de la Trilogie du dollar, Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo). Le terme de Trilogie du dollar mérite d'ailleurs un éclaircissement : c'est le nom donné rétrospectivement à cet ensemble de trois westerns. Les films ont ainsi été réunis sous ce nom commun pour des raisons commerciales en 1966, lors de la sortie commune des trois films aux États-Unis. L'unicité des personnages interprétés par Clint Eastwood a donc été construite et son statut d' « homme sans nom » (The Man with no Name) est une invention américaine. Il est intéressant de noter comment cette légende, pourtant née en Europe, s'est renforcée et approfondie aux États-Unis pour ensuite retourner en Europe. On a là une nouvelle preuve du statut « américanisé » de ces trois film : au départ vision européenne de l'histoire américaine nourrie par son cinéma, ces films ont ensuite été assimilés par les États-Unis et transmis au reste du monde comme nouvel avatar de leur culture.

Le Bon, la Brute et le Truand représente l'apogée de ce parti-pris esthétique et scénaristique, et Leone veut en faire un film fondamentalement américain, allant à donner à tout son générique des noms à consonance anglo-saxonne et se présentant comme Bob Robertson. Ce projet est confirmé par Louis Seguin dans le numéro 95 de mai 1968 :

« L'américanisation, en cette pseudo Guerre de Sécession, va bien au-delà des mi-Lee et des quasi-Grant, au-delà même d'une version « originale » en langue anglaise assortie d'un double titre rédigé dans le même idiome. Le plus puriste ne trouvera rien à critiquer à l'Ouest de Leone. Pas un bouton ne manque, aux guêtres ni aux uniformes gris, bleus ou poussiéreux. »

La Trilogie du dollar est donc un exemple flagrant d'américanisation : elle représente le far west tel que se l'imagine un Européen, mêlé d'influence de roman et de film noir, où les acteurs américains, Clint Eastwood en première ligne, apportent une caution de légitimité sur des tournages européens.

Dans ce dernier film, Clint Eastwood, fidèle à son habitude, fait « inexpressive figure et visage de bois ». Il consolide le rôle qui va faire de lui une légende, notamment dans le mythique duel à trois, où son personnage doit se défaire de deux adversaires et démontrer une vélocité considérable au revolver. Cet archétype de gunfighter, Eastwood va se l'approprier, et les studios américains vont bientôt lui demander de le jouer à toutes les manières, comme en témoigne l'apparition du personnage de « Dirty Harry ».

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