Inconnus du métro
Le métro : source inépuisable de billets ? C'est un peu ça, c'est aussi et surtout l'endroit où je passe une grande partie de mes journées.
Je pense qu'à force de prendre le métro, on a croisé dans sa vie au moins les deux-tiers des habitants de sa ville... Il m'arrive très rarement de reconnaître une tête, car la plupart du temps, ce sont toujours à des inconnus que je fais face. Et prendre le métro, c'est faire partie de la vie de ces inconnus, pendant un certain moment. Tous les jours, je deviens un morceau de la vie de quelqu'un que je ne connais pas, et que je ne connaitrai jamais. Tous les matins, je côtoies des têtes que je ne reverrai jamais, ou presque.
On pourrait alors avoir envie de s'interroger sur leur vie : essayer de les définir. Bien sûr, nous ne faisons alors qu'effleurer du doigt une complexité qui nous dépasse. Bref, pour cela on est obligé de se reporter à leur apparence, ce qui reste extrêmement trompeur, mais c'est tout de dont nous disposons. Il faut s'attarder sur les traits du visages, qui trahissent leurs pensées. Regarder leurs mains, relever toutes les imperfections qui pourraient donner des indices pour mieux les connaître. Et puis il y a les chaussures qui permet de voir d'où ils viennent et où ils vont. Mine de rien, la chaussure est un condensé de vous-même, qui livre au reste l'image que vous voudriez renvoyer. De toute façon, comme on ne les reverra jamais, vous pouvez vous risquer à les dévisager ouvertement.
Car le métro est une réunion d'inconnus, on devrait pouvoir y faire n'importe quoi, non ? Quel risque de gâcher une réputation ? Sourire et s'intéresser un minimum à son voisin n'est pas interdit par les règles de bienséance sociale. Parfois, c'est vrai, on retrouve des gens qu'on connait, du moins de vue. Il arrive que se développent des réseaux d'habitués. C'est rare, mais cela existe, en général sur des trajets répétitifs tôt le matin. Mais là, les suppositions peuvent être précisées. On peut comparer les apparences de la veille et du lendemain. On peut connecter entre eux les habits, les têtes, les sacs, et créer un panel de définitions attaché à une personne.
Et souvent dans notre examen, on tombe sur des pauvres hères qu'on devine, du premier coup d'œil, réellement déprimés et sans ressources. Ces gens qu'on ne revoit pas, peut-on leur apporter du réconfort ? On peut toujours essayer ! Et pourquoi pas, pour la première fois de sa journée, le regarder franchement, et lui sourire véritablement. Essayer de ne pas détourner les yeux quand il croise votre regard, et lui montrer qu'il existe, qu'il n'est pas un bout du métro que les gens évitent. Le saluer en partant. Rappeler à quelqu'un qu'on le considère encore comme un être humain n'est pas une perte de temps.