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11 mars 2010

De la couleur dans Paris, Texas (1)

Voici mesdames et messieurs la première partie d'un petit dossier sur la couleur dans Paris, Texas, l'un des plus beaux films du monde. En espérant que ça en intéressera quelques uns...


Avec Paris, Texas en 1984, Wim Wenders obtient la Palme d'or au Festival de Cannes pour son road movie dans le sud des États-Unis. En mettant en scène le destin de Travis, retrouvé après quatre années d'errance solitaire et décidé à renouer avec son fils et sa femme disparue, le réalisateur exploite son rêve de tourner dans des décors chargés d'images cinématographiques, grandioses et mythiques environnements des films de western. C'est donc une vision de l'Amérique qui est proposée ici, où la couleur a une importance capitale. Vue par un européen, cette Amérique se caractérise par ces espaces chargés de signes d'un passé déchu : vieux panneaux publicitaire, écriteaux, graffitis, carcasses rouillées... Mais avant tout, c'est la couleur qui détermine l'ensemble, et elle n'est jamais absente. Ainsi, quand la scène n'est pas totalement baignée de lumière, c'est une petite touche qui vient la raviver. Et même de nuit, l'obscurité ne s'exprime pas pleinement. On peut retrouver alors dans le film deux traitements majeurs de la couleur, qui seront développées dans ce dossier. Le premier est plutôt général et touche l'ensemble de la palette : dans sa vision de l'Amérique, Wenders fait le choix assumé de couleurs très vives qui bariolent l'histoire. Le second rejoint la diégèse, et s'attache à la couleur rouge, faisant de celle-ci un des éléments caractéristiques de la narration, évoluant au fil de l'histoire, en étant lié aux personnages de Travis, Hunter et Jane.

Une vision de l'Amérique

Wim Wenders décide de confier à son directeur de la photographie Robby Müller la tâche de régler la couleur dans son film. Le parti pris est de proposer une vision très colorée des paysages américains, aux couleurs très vives. Cette idée est visible dès les premières images de Paris, Texas où se heurtent à l'écran les tons ocres du désert, le bleu profond du ciel et le rouge de la casquette de Travis.

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En traitant de cette manière les couleurs, on peut y voir une volonté de la part du réalisateur d'ancrer les personnages dans un environnement hyperréaliste où leur caractère évanescent serait renforcé. Ainsi pour Travis, c'est en opposition avec le décor renforcé par ses couleurs vives qu'il se définit comme un doux rêveur, en décalage avec son monde. Ce lien est renforcé par l'utilisation de la musique dont les notes remplacent les paroles du personnage, en vertu de son silence. Le blues lancinant de Ry Cooder fonctionne étroitement avec la musique pour caractériser les personnages et le décor. On pourrait également trouver à l'utilisation de couleur très vives une fonction onirique qui, au contraire, désamorcerait la fonction réaliste du décor et rejoindrait le caractère rêveur de Travis. Ces teintes exacerbées seraient ainsi à même d'être considérées comme un vecteur de réalisme par rapport aux personnages ou inversement, comporteraient une part de fantaisie en accord avec ceux-ci. C'est aux sentiments du spectateur de décider alors, en fonction de l'interprétation qu'il fait de ces couleurs et du personnage de Travis : si celui-ci est en décalage total avec son environnement, ou s'il est le seul à s'y mouvoir pleinement.

Avec un road movie, le réalisateur savait qu'il allait devoir montrer à l'écran une multitude de décors différents, à cause du mouvement des personnages. Ce déplacement constant lui permet alors d'apporter au spectateur un flux continu de couleurs. Que ce soit de jour ou de nuit, la route est toujours le lieu où évoluent des taches lumineuses. De jour, elle confronte le sombre du bitume au  bleu du ciel, de nuit elle mêle obscurité et lumière avec un bariolage de halos de phares de voitures, de réverbères, ou de fins de soleils couchant.

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La route américaine est un autre de ces clichés que Wenders se plait à manipuler, il s'amuse ainsi à démystifier quelque peu son propos, notamment par la couleur. Le personnage de Travis refuse catégoriquement de prendre l'avion et veut retrouver la voiture dans laquelle son frère l'a récupéré, mais à l'agence de location, les voitures sont toutes identiques, du même bleu pervenche, comme si il n'y avait qu'une seule voiture depuis toujours dans les films hollywoodiens, et que Travis soit le seul à discerner les différences et les nuances dans son monde. En traversant le sud des États-Unis, ce dernier accompagné de son frère, évoluent au milieu de ce qui a contribué à caractériser les films de western, les grands espaces où la lumière du soleil ne rencontre aucun obstacle et où les couleurs sont les plus éclatantes. Le réalisateur offre ainsi au spectateur la possibilité de découvrir ces espaces en suivant la course du soleil, à toute heure de la journée, et ces derniers sont illuminés par des teintes jaunes, orangées ou rouges.

La vision du réalisateur est donc claire : « l'Amérique après tout est invraisemblablement colorée ». Quelques scènes révèlent particulièrement cette idée, celles où des néons colorent excessivement l'ensemble d'une pièce en bains de lumières vertes, rouges ou bleues. Comme si grâce à ces couleurs, ces scènes acquerraient une unité propre et se distinguaient du reste du film. Ainsi, le cabinet du docteur au début du film ou la scène du peep-show à la fin sont des étapes particulières du cheminement de Travis et sont instantanéisées comme telles par la couleur. Les couleurs de l'Amérique relèvent donc autant de la nature que de la société humaine, et que ce soit par une lumière artificielle ou par le soleil, la vivacité des couleurs caractérise la vision de l'Amérique par Wim Wenders.

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