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26 novembre 2009

Un conflit au cinéma, part.2

Suite du dossier sur Michel Khleifi. Aujourd'hui, la seconde partie, axée sur l'aspect formel de l'œuvre du cinéaste. La première partie est disponible ici.


II- Comment filmer le conflit ?

Le réalisateur film le conflit israélo-palestinien en établissant une continuité par le biais des mêmes acteurs que l'on retrouve dans ses œuvres. Il s'attarde à la fois du côté de la fiction et du documentaire. La musique y tient alors une place importante comme vecteur d'identité. Son cinéma n'est jamais figé dans une représentation simpliste, et évolue au gré des différentes tonalités qui le traverse.


Tout au long de la filmographie de Michel Khleifi, on retrouve les deux mêmes acteurs pour jouer les rôles fondamentaux de ses films : Makram Khoury et Bouschra Karaman. Tandis que le premier interprète le gouverneur israélien de Noce en Galilée, le protagoniste masculin de Cantique des pierres et l'oncle aveugle de Youssef dans Conte des trois diamants, la seconde est présente sous la forme de la mère de la mariée, de la protagoniste féminine et de la mère de Youssef. Ces acteurs fétiches permettent de montrer l'évolution de la pensée du cinéaste qui tour à tour, les fait basculer dans un camp où dans l'autre, ce qui révèle la volonté d'éviter le manichéisme de la part de Khleifi. Il établit également une continuité dans son répertoire, chaque film répondant au précédent et étant en même temps guidé par l'évolution chronologique du conflit (première Intifada à la fin des années 1980, conférence de Madrid en 1991, accords d'Oslo de 1993).

Dans Noce en Galilée, le conflit est évidemment présent à l'image avec l'apparition des militaires israéliens ou dans la narration, lorsque les jeunes du village veulent attaquer les officiers du gouverneur. Mais l'originalité du traitement cinématographique réside dans le fait d'établir une métaphore entre les deux futures mariés et la situation des deux territoires. En effet, avant les festivités, le jeune homme et la jeune femme sont séparés et ne se verront que lors de la consommation du mariage. On peut trouver dans cette séparation, une métaphore de la séparation de la terre de Palestine qui était unie avant 1948 et la création de l'État d'Israël. Cette idée se renforce lorsque l'on assiste à la réunion des deux mariés, et où l'on voit qu'entre eux, rien ne se passe comme prévu : pas de passion, l'homme reste distant et gêné et donne des ordres à son épouse. Et le plus important est qu'il n'y a pas de consommation du mariage, ce qui entraîne la honte sur la famille de l'homme. Là encore, on peut établir un parallèle avec l'évolution du conflit depuis la fin des années 1950, où l'on s'aperçoit que les tentatives de création d'un État palestinien qui vivrait dans l'entente avec son voisin échouent toutes. Ainsi, à la fois dans le mariage et dans la terre de Palestine, la réunion n'a jamais lieu. Et Khleifi clôt cette séquence avec un sombre pessimisme en mettant en scène la défloration forcée de la jeune femme : l'honneur est donc sauf mais à quel prix ? Au prix du mensonge qui pose les fondements d'une relation pour toujours viciée entre les deux amants. Cette fois-ci, le lien avec les déclarations du Royaume-Uni qui donnait la promesse de la création d'un État aux deux camps à l'orée de la seconde Guerre Mondiale, s'établit clairement : ces promesses entraineront de nombreuses décennies de conflit et empêcheront le rétablissement rapide de la paix.

Le traitement du conflit dans Cantique des pierres est différent car le cinéaste s'attarde cette fois-ci dans le domaine du documentaire, tout en établissant toutefois des liens réguliers avec la fiction. Le film s'ouvre ainsi sur la panique qui traverse le quartier d'une école de fille où l'armée israélienne a fait une descente. En choisissant de montrer, caméra à l'épaule, les visages terrifiés des parents ou des enfants, Khleifi veut nous faire partager ce que peuvent ressentir les habitants des Territoires. Ces séquences ne sont pas joués et c'est ce qui les rend si intense, par la comparaison avec les quelques plans de fiction du film. La situation a alors évolué par rapport à Noce en Galilée, l'Intifada a été déclenché et le contexte est très sombre. Le réalisateur choisit alors de nous immiscer au plus profond de la société palestinienne en interrogeant différents interlocuteurs sur leur vie et leurs difficultés à survivre durant le conflit.

Le film n'a pas vraiment de structure narrative à part les quelques intermèdes de fiction où Makram Khoury et Bouschra Karaman se retrouvent et discutent de la situation. C'est autour du projet de cette dernière de se déplacer à travers les Territoires (de Gaza à Jérusalem, en passant par la Cisjordanie) que le réalisateur fonde sa narration, qui lui permet de collecter ces témoignages. Le film repose ainsi essentiellement sur le montage qui recoupe des scènes de foules filmées dans des souks, des hôpitaux ou dans la rue, ainsi que des interviews individuelles et des scènes de fiction. En choisissant de mêler fiction et documentaire avec l'idée de nous transmettre ce que peut ressentir un habitant de la région, Michel Khleifi réussit à apporter au spectateur une vision nouvelle. Ce dernier pris par la fiction est d'autant plus réceptif aux témoignages poignants.


Différentes tonalités sont exprimées dans la filmographie du réalisateur. Au delà du tragique qui frappe toute œuvre traitant du conflit israélo-palestinien, ces films font preuve d'humour, de poésie voire d'érotisme.

Noce en Galilée est ainsi traversé par l'humour. En effet, avec le personnage récurent de l'arrière grand père, Michel Khleifi donne à son film une profondeur historique et permet d'élargir la palette des sentiments exprimés. Le vieil homme s'ancre alors dans les mémoires par sa bonne humeur et sa fixation sur les occupations turques puis anglaises des Territoires qu'il ressasse sans cesse les exprimer au moment le moins opportun ce qui lui vaut les foudres des autres habitants du village. Ces séquences truculentes contrastent avec la tension générale du film et donnent au spectateur la sensation de voir une œuvre aboutie qui brasse avec réussite la complexité de la vie d'un village. L'humour, cette fois-ci plus amer que le précédent est également présent lors de la scène de la discussion des officiers israéliens à propos de la cuisine. Ceux-ci comparent en effet la cuisine du Liban, de Palestine et de Syrie. Or on sait que ces pays ont de forts contentieux avec Israël ce qui donne à cette scène une valeur plus importante qu'il n'y paraît : ces officiers semblent tiraillés entre leur goût et leur devoir, comme le montre le gouverneur qui trouve qu'Alep est le centre de la cuisine proche-orientale mais qui ne pourra jamais s'y installer.

Khleifi fait également preuve d'un certain érotisme qui décontenance le spectateur. Ainsi les personnages de la mariée et de sa sœur sont mis en scène avec passion, et leurs formes sont dévoilées à de nombreuses reprises au spectateur qui peut voir là une volonté de montrer que l'amour reste présent malgré le contexte sombre et tendu. Les pistes que donnent le réalisateur sur la possible relation entre la soldat israélienne, son collègue masculin et différents habitants du village dévoilent le jeu que peuvent se livrer les membres des deux camps et évitent une nouvelle fois tout manichéisme.

Dans Conte des trois diamants, c'est la poésie qui est, quant à elle, mise à l'honneur. Le contraste s'établit cette fois entre les scènes de la vie quotidienne marquée par la violence et les rêveries du jeune Youssef qui se crée un monde à l'écart de la réalité et y vit des aventures palpitantes pour retrouver les diamants manquants du collier de la belle Aïda. Dans ce monde, son oncle a retrouvé la vue, un chevalier traverse au galop la plage de Gaza et les balles ne fusent pas ; sa famille y est en sécurité et son frère n'a pas besoin de se cacher pour éviter la prison, où son père ne réside plus. Cette réalité à l'écart du temps est un lien fort entre le spectateur et le jeune personnage qui peut à présent comprendre les craintes de ce dernier, à la lumière de son monde imaginaire.

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Le cinéaste accomplit également un travail précis concernant la musique de ses films. Il représente souvent des musiciens à l'écran. C'est notamment le cas dans Noce en Galilée et Cantique des pierres.

Dans le premier, c'est pour les festivités que les musiciens sont présent. Mais il y a tout une symbolique dans leur musique et dans les chants qui les accompagnent. En effet, c'est de la défense d'une tradition face à un ennemi qui veut les absorber qu'il s'agit. Cette dimension est vraiment observable lorsque les invités joyeux mais en même temps conscient du climat de tension chantent des chants provocateurs à quelques tables des officiers israéliens. Cette musique est un donc un vecteur d'identité car elle est partagée et comprise par seuls les membres d'une même communauté et rappelle des traditions anciennes. Ce faisant, elle promeut des valeurs qui oppose clairement les deux communautés. Michel Khleifi transmet, une nouvelle fois, tout un ensemble de coutumes qui permettent de comprendre et d'approfondir la psychologie des personnages.

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La musique se fait donc le porte-parole du cinéaste. C'est notamment le cas dans Cantique des pierres où, tout au long du film, s'interpose des sortes d'intermèdes où l'on peut voir des musiciens réunis dans une chambre jouer des chansons mélancolique, nostalgique du temps passé. Par le montage, le réalisateur met en rapport ces séquences avec les scènes de la vie publique précédente et le son in, la musique jouée par ce groupe de musiciens, devient alors la bande son des images suivantes : le chant plaintif et brisé par l'émotion se pose sur ces images d'habitations détruites, de vies brisées par un conflit qui n'en finit plus. La musique est donc un moyen utilisé par le cinéaste de restaurer et de diffuser la culture palestinienne tout en transmettant la colère et l'inquiétude qui  le traverse.

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