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28 octobre 2009

De l'Emir

Après le cinéma, voilà l'histoire. Cette fois-ci, je vous propose ce que j'ai réalisé à propos d'Abd el Kader. Ce travail n'aurait pas été possible sans l'aide précieuse que j'ai tiré des sites de la Revue historique des Armées et de la section de Toulon de la Ligue des Droits de l'Homme.
Je sais, je n'ai toujours pas commencé à véritablement écrire et je ne fais que poster des travaux, mais ça arrivera.


Lorsque le maréchal Bugeaud évoquait Abd el Kader, il parlait souvent de son génie, alors que ceux-ci se sont affrontés durant de nombreuses années durant les premiers temps de la colonisation française en Algérie. Cela montre l'importance du caractère respectueux qu'inspire Abd el Kader. Il incarne le symbole du résistant à la colonisation. Celle-ci commence avec la prise d'Alger en 1830, à la suite de laquelle les Français veulent étendre leur conquête au reste du territoire. Ils rencontrent alors des résistances des tribus locales, dont le chef Abd el Kader, alors obscure marabout (vient de ribat, centre religieux fortifié. Désigne un saint homme honoré dans une confrérie)

Dès lors, en quoi Abd el Kader, dans son opposition à a colonisation, s'affirme en tant que chef religieux, militaire et politique, éclairé et respecté ?


I- Un projet politique musulman à travers un État algérien

A- Une éducation orientée pour diriger un peuple

Abd el Kader Nasr ed Din, fils d'Abd el Kader Mehi ed Din est né en 1808. Dès son enfance, son père le destine à lui succéder à la tête de la confrérie soufie Qadiriyya (née au XI° siècle avec la figure d'Abd el Kader el Jilani, Iran). Il reçoit donc une éducation destinée à faire de lui un chef religieux, sans négliger un entrainement physique, notamment à cheval. En 1828, il accomplit son pèlerinage à la Mecque, complété par une visite des villes de Damas, Baghdad, Alexandrie et Jérusalem. L'Emir qui a passé sa jeunesse dans des milieux hostiles aux Turcs, voit en réaction aux pressions des puissances européennes, des chef musulmans (notamment le pacha d'Égypte, Mehmet Ali) tenter de réformer leur État. L'effondrement de l'Empire Ottoman, et le début de ce que les Algériens ont appelés le « Doulet el Mehamla » (époque de l'anarchie), lui donnent cette possibilité. Il manifeste son engagement en 1830, en succédant à la suite de son père à la tête des tribus de la région d'Oran et Mascara qui refusaient la soumission française. Il fait alors adopter son point de vue : le refus d'une alliance avec le bey d'Oran pour prêter allégeance au sultan du Maroc Abd er Rahman qui, pouvant sentir menace française, dispose de la légitimité religieuse nécessaire pour lancer le jihad, la guerre sainte. Mais l'engagement du sultan n'est pas à la hauteur des espérances algériennes, on demande alors au père d'Abd el Kader d'organiser la résistance, c'est à dire créer un sultanat. Devant l'ampleur de la tâche, celui-ci laisse son fils s'en occuper, en 1832.

B- L'interaction avec les français

Il est alors inconnu des Français, comme son père. Devant son prestige rapidement établi, ceux-ci essayent de ruser. Le général Desmichels discerne une utilité car il pourrait unifier les tribus tandis que les Français, moyennant un accord établirait un protectorat. Ils se mettent d'accord et signe en 1834 le « traité Desmichels » : décidé sans l'accord du gouvernement français, celui-ci reconnaît à Abd el Kader le titre de Commandeur des croyants (Amir el mouminine) et la souveraineté sur le beylik d'Oran (à l'exception des villes d'Oran, Arzew, Mostaganem). Il faut toutefois noter l'ambiguïté qui consiste à juxtaposer une version arabe et française dont la teneur n'est pas identique. Dans la version arabe du traité, la souveraineté de la France n'est pas reconnue (à l'inverse de la partie française) et le territoire est plus vaste. Les conquérants n'y voient qu'un armistice provisoire tandis qu'Abd el Kader considère le traité comme la reconnaissance d'une souveraineté au delà même d'Oran. Du fait des différences d'avis, les tensions perdurent et quelques batailles sont menées, le général Bugeaud est ainsi appelé pour négocier avec Abd el Kader. De nouveaux accords sont signés à Tafna le 20 mai 1837 : encore une fois les interprétations contradictoires existent entre les deux parties quant aux limites territoriales. Abd el Kader reçoit les 2/3 de l'Algérie en échange d'une vague reconnaissance de la France. Le traité donne en outre un répit aux Français pour s'emparer de Constantine en octobre 1837.

C- L'État d'Abd el Kader

Dans son opposition à la conquête, la population s'appuie sur l'idéologie du jihad : littéralement l'effort, effort du croyant pour défendre le territoire musulman (Dar el Islam). L'ennemi est avant tout défini comme un chrétien, mais l'appellation ne concerne pas exclusivement la religion, elle stigmatise plutôt une culture radicalement étrangère à laquelle il paraît impossible de se soumettre sans risques pour ses propres croyances. La légitimation religieuse est donc fondamentale pour unir les habitants sous un régime capable d'assurer l'indépendance. Abd el Kader jouissait d'un prestige au Maroc, ayant prêté allégeance au sultan, des 'ulémas (pluriel de 'alim, savant religieux, docteur de l'Islam) lui accordent alors leur fatwas (consultations) pour justifier son action, qu'il diffuse largement. Il dispose ainsi d'une autorité religieuse. Il possède également des qualités d'organisateur : il créé une administration, une justice, une finance de toute pièce, tirant son inspiration de Mehmet Ali. Mais l'isolement de l'Algérie, le peu de temps dont il dispose à cause de la guerre, ne lui permettent pas de mener pleinement ses projets de réformes à la manière du pacha d'Égypte. Il divise toutefois son État en huit khalifats (territoire dirigé par un khalife, lieutenant). Il se dote de forces régulières (officiers, sous officiers, bataillons) avec une instruction moderne dispensée par des étrangers. Il possède du matériel européen, mais fait fabriquer la poudre, les canons et les fusils sur place. Mais ses troupes ne sont pas assez nombreuses ni assez expérimentées pour affronter des Français dix fois plus présents.


II- Une guerre maîtrisée contre la France qui lui permet de s'imposer, malgré la défaite

A- La reprise justifiée des affrontements

L'affrontement qui reprend à partir de 1839 semble accepté par les deux parties comme le seul moyen de trancher un conflit insoluble. Abd el Kader prend en novembre l'initiative des hostilités : le franchissement par un détachement français du défile des « Portes de Fer » dans une zone qu'il estime lui avoir été attribué par le traité de la Tafna est considéré comme une provocation. Il proclame la guerre sainte et lance ses cavaliers sur la zone de colonisation européenne de la Mitidja et provoque le ralliement des travailleurs algériens. Il est également au courant de circonstances diplomatiques favorables. En effet, une détérioration des relations franco-britanniques dans le Levant est en cours. En effet, le Royaume Uni combat les ambitions de Mehmet Ali contre l'Empire Ottoman tandis que les Français sympathise avec le pacha d'Égypte. En 1840, une crise oppose donc Londres et Paris et la menace d'une guerre européenne obligerait la France à retirer ses troupes d'Afrique. Mais son espoir est déçu car les relations sont renouées entre les deux pays à partir de 1841, ce qui permet à la France d'entretenir un corps expéditionnaire nombreux. En février 1841, Bugeaud devient gouverneur général et donne une nouvelle impulsion à la guerre.

B- La guerre totale

Bugeaud comprend que pour venir à bout d'Abd el Kader, il faut lui emprunter sa vivacité dans le déplacement et l'exécution. Il répond donc à sa mobilité par la création de colonnes de 6 000 à 7 000 hommes, légèrement équipées. La guerre totale est décrétée et Bugeaud est sans scrupules. Il harcèle l'ennemi sans relâche, détruit les silos dissimulés, s'acharne contre les révoltes et attaque les populations. Cette nouvelle tactique oblige Abd el Kader à accroître sa mobilité car sa capitale Tagdempt est incendiée et ses villes tombent les unes après les autres. Il conçoit donc une capitale mobile : la Smala. Celle-ci rencontre deux objectifs : montrer sa puissance aux tribus par une présence massive sur le terrain, et renouer avec la tradition. La Smala permet ainsi un abri pour les familles de combattants et les blessés, mais aussi pour les membres et les biens des tribus sous la protection de l'Emir. Celle-ci tourne alors autour de 20 000 à 30 000 personnes. Le 16 mai 1843, le duc d'Aumale (cinquième fils du roi Louis Philippe) surprend la Smala et s'empare de la tente de l'Emir, absent. Il fait de nombreux prisonniers mais la famille d'Abd el Kader réussit à s'enfuir. Ces lours revers ne le font cependant pas renoncer. Ses forces réduites à un millier restent suffisante pour mener des raids dans les territoires français.

smala

Prise de la Smala d'Abd el Kader, par Alfred Decaen.

C- Abd el Kader isolé par les Français

L'appui donné par Abd er Rahman conduit Bugeaud à neutraliser le sultan du Maroc. Le traité de Tanger de septembre 1844, après la victoire de la France à Isly (près d'Oujda) porte un coup dur à Abd el Kader : il est déclaré hors la loi au Maroc. La fin de l'aide marocaine coûte beaucoup à l'Emir. Il avait pensé que son opposition farouche pourrait susciter le découragement de la France, épuisée. Mais il sous-estime la détermination du gouvernement de Louis Philippe. Il se rend le 23 décembre 1847. Il a tout de même été un remarquable entraineur d'hommes : il a, en effet, été capable de mener pendant quinze ans une guerre de plus en plus désespérée. Il a su prolonger la phase finale du conflit pendant huit ans (1839-1847) tandis qu'il a suffit aux Français de prendre Constantine pour abattre le pouvoir du bey Ahmed. Il s'est imposé par son humanité, fidèle à une lecture généreuse et intelligente du message coranique. Il s'est efforcé, dans une guerre marquée par des atrocités réciproques, de limiter ou interdire les cruautés inutiles. Il négocie ainsi des échanges de prisonniers avec Mgr Dupuch, évêque d'Alger, dans des conditions qui lui valent de durables amitiés. Certes, Abd el Kader a été loin de faire unanimité. Il n'a pas su s'appuyer sur les tribus de l'est, ni sur les Kabyles. Il est entré en conflit avec les anciens alliés des Turcs et avec d'autres confréries.

reddition

La reddition d'Abd el Kader, par Augustin Regis


III- Un exil où il ne renie pas ses croyances et incarne la figure du chef éclairé

A- Un exilé en France qui impressionne

Il reste prisonnier en France pendant cinq ans, de janvier 1848 à septembre 1852, avec sa famille et ses proches. La crainte de le voir relancer une révolte et les incertitudes quant à l'avenir politique de la II° République expliquent cette longue captivité. La popularité de l'Emir va grandir auprès des Français, impressionnés par sa personnalité. Par l'intermédiaire d'un visiteur, Abd el Kader entre en relation avec le futur Napoléon III, alors Prince-Président. Celui-ci lui rend visite plusieurs fois et lui annoncera sa libération et son départ vers la Turquie, à Brousse (Bursa aujourd'hui).

B- Un savant musulman en Turquie

Il débarque à Istanbul en janvier 1853 et se consacre alors à une activité intellectuelle et religieuse. Il prolonge l'éducation de ses enfants par un enseignement qui fait de lui un maître spirituel renommé dans le monde musulman. Il entretient avec lui une suite nombreuse dont les voyages de ses membres lui permet de rester en relation avec l'Algérie. Ses rapports avec le gouvernement turc sont problématiques. Abd el Kader, tout en reconnaissant la prééminence turque dans le monde musulman (siège du califat), leur reproche d'avoir abandonné l'Algérie face à la conquête française.

C- Une figure éclairée reconnue

En 1855, un tremblement de terre détruit partiellement Brousse. Abd el Kader décide alors de se rapprocher des Lieux saints de l'Islam. Avec l'accord de Napoléon III, il s'installe à Damais où est enterré Ibn Arabi, le maître soufi dont il se réclame. En 1856, un décret du sultan conforme à l'esprit de réformes de 1839, les Tanzimat (littéralement « réorganisation », ère de réformes dans l'Empire), provoque la colère des Druzes à cause du principe d'égalité entre musulmans et non-musulmans. Ceux-ci massacrent et pourchassent les Chrétiens maronites en 1860. Abd el Kader prend leur défense et celle des Européens de Syrie. En effet, il les considère comme des dhimmi (membre d'une religion du livre). Il reçoit pour cela la Légion d'Honneur. Napoléon III pense en faire un instrument politique en Orient, avec la création d'un vaste royaume arabe, indépendant de la Turquie mais sous contrôle de la France. Abd el Kader refuse, ne voulant plus de rôle politique. Il refuse même d'encourager la révolte Moqrani de 1871 en Algérie. Il s'occupe dès lors d'œuvres pieuses et s'adonne à des recherches personnelles jusqu'à sa mort, le 26 mai 1883.


A sa mort, Abd el Kader est reconnu comme un chef religieux et politique éclairé. Il est respecté pour son opposition à la colonisation, par ses adversaires et par la population algérienne. Paradoxalement, on peut comprendre que c'est grâce aux Français qu'il est respecté. Il incarne en effet le symbole du résistant à la colonisation. De nombreux tableaux le représentent (Portrait par Ange Tissier, 1852), et le montrent défait, pour faire rejaillir le prestige sur la France à cause de son importance en tant qu'adversaire. Pourtant, il n'a pas toujours fait l'unanimité. Il s'est, en effet, opposé à des tribus locales, le sultan du Maroc s'en est détourné... Les rivalités personnelles des clans l'ont emporté sur la nécessité de l'union et démentent l'idée d'une solidarité islamique aveugle. Toutefois, aujourd'hui il est considéré comme le père de la nation algérienne et le retour de ses cendres en Algérie en 1966 ont été un grand moment d'émotion pour le pays.

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